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22-06-2008

Traduction française du rapport d'investigation anti-mafia, contenant des transcriptions d'écoutes téléphoniques

Le journal « Parijki vesti » a publié la traduction complète en langue française d’un rapport d'investigation anti-mafia, contenant des transcriptions d'écoutes téléphoniques. Il a été publié par l'hebdomadaire bulgare Kapital le 08/03/2008 et a déclenché un scandale au sein du Ministère de l'Intérieur qui s'est soldé par l’arrestation du directeur adjoint de la section anti-mafia de la police nationale et par la démission du ministre bulgare de l’Intérieur Roumen Petkov.

Nous vous présentons le texte entier qui commence par une explication éditoriale de « Parijki vesti » : (lien - ici)
 
BULGARIE: LA SYMBIOSE MAFIA-POUVOIR

La lecture qui suit est un rapport d'investigation anti-mafia, contenant des transcriptions d'écoutes téléphoniques. Il a été publié par l'hebdomadaire bulgare Kapital le 08/03/2008 et a déclenché un scandale au sein du Ministère de l'Intérieur qui s'est soldé par l’arrestation du directeur adjoint de la section anti-mafia de la police nationale et par la démission du ministre de l’Intérieur Roumen Petkov.

Le document montre clairement qu'une symbiose existe entre les milieux du crime organisé, le monde des affaires et la police anti-mafia. Et selon les analystes, ce n'est que le sommet de l'iceberg qu'on y entrevoit.

Nous avons traduit et publions ce texte en français afin que les contribuables européens se rendent compte de l'étendue de la corruption qui gangrène le pouvoir en Bulgarie.

Nous avons gardé le titre en bulgare: “Spravka”, qui veut dire "rapport", mais son sens littéral le plus proche est “ajustement”. Dans la société bulgare où les puissants du jour sont au dessus des lois circulent toutes sortes de bruits et des “oui dire”. Les institutions cultivent le secret, refusent régulièrement l’accès à l’information publique. Il y a une sorte de complot contre le droit d’information des citoyens, afin de brouiller les pistes et d’empêcher le regard objectif sur ce qui se produit réellement. Cette “spravka” a permis de voir juste. Elle a pulvérisé le suspens et a mis au grand jour les fiançailles de la mafia et du pouvoir. Le spectacle dépasse l’imagination.

Nous insistons sur le fait que cette symbiose n'est pas un effet de bord accompagnant la transition démocratique. C'est l'instrument, mis en place de manière raisonnée par les hommes des structures de l’ancien Service de Sécurité d'Etat communiste (DC) avec un double objectif: conserver des positions-clés dans l'économie, le pouvoir et les médias pour les anciennes élites communistes et leur descendance, et faire passer devant les élites occidentales l'illusion de leur légitimité démocratique.

Le premier objectif est atteint. Les hommes d’affaires les plus riches et les propriétaires ou rédacteurs en chefs des médias les plus populaires ont un CV qui commence par un service au sein de la DC. Récemment, la Commission d’accès aux archives de l’ancienne Sécurité d’Etat a publié la liste des politiques ayant travaillé pour la DC : parmi eux, deux ex-Premiers ministres et le Président actuel. Il en résulte ce qu'on appelle aujourd'hui une oligarchie, très proche du modèle post-soviétique en Russie.

Le deuxième objectif est sur le point de se réaliser. Il y a des élections sous l'étiquette "démocratiques" mais pour éviter les surprises, on paye les électeurs sous la table 30 à 50 euros la voix. La législation bulgare a l’air d’être celle d’un pays européen, mais les lacunes dans plusieurs domaines stratégiques, tels le financement des partis, les marchés publics, les concessions, le conflit d’intérêt etc., laissent intactes les possibilités d’abus. Pour toutes ces raisons, les médias dits "libres" se font très discrets quand il faut faire couler l'acide sur les plaies des scandales.

Comme si cela ne suffisait pas, l’ambassadeur de Bulgarie auprès de l'EU est un ancien fonctionnaire de la Sécurité d'Etat. Les agents de cette organisation criminelle siègent au Parlement européen.

Criminelle, la DC l'est à plusieurs titres. Dans le passé, elle a tué des dissidents (Georgi Markov, par la parapluie bulgare à Londres en 1978) et persécuté la pensée libre. Plus récemment, elle a organisé des trafics souterrains pour renflouer l'Etat communiste en faillite.

Ces trafics d'armes et de drogue et la contrebande étaient le fond de commerce le plus précieux de la DC et lui ont survécu. Ils fonctionnent toujours; sous la couverture des politiques, ils alimentent les caisses des partis via un réseau au sein duquel, comme vous allez lire, les bandits, les "businessmen" et les flics "font miam-miam ensemble".

Les chancelleries occidentales et les commissaires de Bruxelles en savaient long, mais ils ont fermé l’œil. Résultat des courses, la Bulgarie est gouvernée par une oligarchie héritière de la DC et qui puise dans ses sources de revenus criminels.

Est-ce clair, ou faut-il insister davantage ? Le pouvoir de l'époque communiste est bâti sur les représailles et le sang de démocrates et opposants, médecins et ingénieurs, intellectuels et artistes, enfin, sur le sang de paysans ordinaires ; sa fortune récente sur la contre-bande, le trafic de drogue, la racket et les jeux.

L'Union Européenne a fait preuve de laxisme. Elle a admis la Bulgarie comme membre de plein droit au nom de on ne sait quel enjeu géostratégique. Ce faisant, elle a abandonné la société civile bulgare, les gens honnêtes, les gens qui se sont battus pour les principes démocratiques et grâce à qui le pays connaît une fragile liberté d'opinion. Ce "peuple de droit", confronté à et largement dépassé par la puissance du nouvel « establishment », espérait que l'UE ne fléchirait pas et imposerait ses règles de manière ferme. Il n'en est rien.

Un an après l'adhésion de la Bulgarie, le pot aux roses a été découvert par le contribuable européen. Son argent, destiné à aider les contrées les plus démunies de l'Europe a atterri dans les poches de l'oligarchie criminelle bulgare. Scandale? C'était pourtant prévisible.

Mais là encore, les commissaires européens s'apprêtent à donner un sursis à l'oligarchie et ne sont pas disposés à se servir des rares instruments de blâme dont ils disposent.

L'Union Européen a pourtant la possibilité de geler le pays politiquement et d’exiger un changement de régime. Elle l'a fait pour punir la rhétorique nazi de Heider en Autriche et l'a bien chassé du pouvoir.

Les faits qu'on peut imputer à l'oligarchie bulgare sont-ils plus acceptables? Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une rhétorique, mais d'actes concrets : 120 meurtres à gage non élucidés depuis 2001, abus de fonds publics qui se chiffrent à des milliards d'euros, y compris des fonds européens. Ajoutons la mainmise sur les médias "à la Poutine".

Cette lecture est destinée avant tout à la société civile européenne et aux médias, dans l'espoir qu'une opinion publique mobilisée peut secouer les eurocrates afin que des vraies sanctions soient imposées au gouvernement et à la classe politique bulgares.

Il ne faut pas croire aux pleurs des hommes politiques bulgares qui menacent l'Europe d'instabilité si leur clique est chassée du pouvoir. Ne croyez pas non plus à leurs promesses de combattre le crime organisé. Croyez-vous qu'ils vont se combattre eux-mêmes?

Laissez cette naïveté au commissaires européens. D'ailleurs, est-ce vraiment de la naïveté? L'ex-commissaire à l'Intérieur européen Mr. Franco Fratini n'a t-il pas skié en Bulgarie au frais du contribuable, lors d'une visite de travail, avec l'ex-ministre de l'Intérieur Roumen Petkov, surnommé "Le Briquet" par le milieu? C’était en février 2007. Certains médias bulgares et même le très sérieux Financial Times s'en sont indignés. Il était question de boîtes de nuit, de mannequins, de photos...

Etait-ce le feu long du "Briquet" ou la complicité du "miam-miam ensemble"... mais le fait est que quelques mois plus tard, Fratini a surpris les pays membres avec un rapport très clément sur la Bulgarie, en dépit de l'évidence que la lutte contre la mafia piétine.

Vous ne voyez pas le lien? Lisez donc la suite.
 
La Direction générale de lutte contre le crime organisé (DGLCO) au sein du Ministère de l’Intérieur effectue une enquête préliminaire sur un groupe criminel organisé (GCO), extrêmement dangereux, lequel est lié aux membres de l’ancien groupe de racket SIC Krassimir Marinov, surnommé le Grand Marguine, et Nikolaï Marinov, surnommé le Petit Marguine. Il a été constaté que le GCO a une activité criminelle sur tout le territoire du pays, et qu’il est dirigé par Hristo Velikov Halvadjiev.

Au cours de l’enquête ont été accumulées suffisamment de preuves de crimes et délits commis par les membres du GCO. Ces preuves ont été communiquées au Parquet Suprême de cassation qui a ordonné l’envoi de l’information au Parquet de Sofia avec la prescription d’ouvrir une instruction préparatoire. Sur ordonnance du procureur V. Naïdenov , une telle instruction a été ouverte pour crime conformément à l’art.212 du Code pénal.

Dans le cadre de celle-ci, et pour réunir des documents prouvant les actes criminels commis par les membres du GCO, a été autorisée l’interception des correspondances par la voie des télécommunications.

Les renseignements ainsi obtenus ont donné lieu à la rédaction d’un rapport et à la planification d’une opération spéciale à mener sur tout le territoire du pays ; le plan de cette opération comporte la liste des bâtiments et personnes à contrôler ainsi que la date de son déclenchement, fixée au 10/10/2007.

Le 08/10/2007, le plan est porté à la connaissance des directeurs adjoints de la DGLCO, V. Trifonov et I. Ivanov.

Le 09/10/2007, la Direction des renseignements par voie technique (DRVT)  rapporte que le même jour à 10h23, elle a intercepté une conversation téléphonique entre Ivan Hristov Ivanov et Hovanes Manouk Manoukian, tous deux comptant parmi les personnes qui font l’objet de l’enquête. Le contenu de cette conversation montrait clairement que Ivanov s’attendait à être arrêté le lendemain (10/10/2007) et mis en garde à vue pour 24 ou 72 heures. Selon l’information qui lui était parvenue par un tiers, la police préparait une démonstration de force à l’intention de tous les importateurs de carburants. A 11h29, un second appel téléphonique livre le nom de la personne qui a donné l’information : Lioubomir Ivanov, chef de la PJ au 2e Commissariat de Sofia. Ce dernier avait averti Ivan qu’il faisait partie des 30 personnes à contrôler, et que le contrôle aurait probablement visé Hristo Halvadjiev. Ivan dit qu’aux dernières nouvelles, l’opération en question ne se limiterait pas aux seuls importateurs de carburants mais déborderait sur d’autres activités commerciales. Hovanes en doute ; à son avis, si c’était le cas, lui-même devrait être du nombre de ceux qui font l’objet du contrôle.

Les conversations entre les deux hommes permettent d’en déduire qu’ils cherchent à connaître en détail les actions préparées contre eux par le Parquet de Plovdiv et celui de Sofia ainsi que par les différentes Directions de la police nationale.

Le 09/10/2007, Hovanes Manoukian contacte par téléphone Oleg Kirilov Petrov (marchand de carburants et membre du groupe SIC, qui réside à la ville de Doupnitsa) pour l’avertir des problèmes existants. Les deux correspondants discutent des précautions à prendre.

Le 09/10/2007 à 21h43, Oleg Petrov s’entretient par téléphone avec Krassimir Vassilev Okov, un homme proche à Plamen Borislavov Galev.

Lire la suite dans le fichier attaché.
Après la remise, à titre d’information, du rapport ci-dessus au ministre de l’Intérieur et au chef de la Direction Générale de la Police Nationale, Ivanov et ses proches se sont débarrassés de leur téléphone portable.

Les opérations effectuées et les renseignements obtenus par voie technique permettent de faire la conclusion suivante :

L’entreprise Pechtera SA a causé au fisc des pertes estimées à plus de 1 200 000 000 de leva , en se soustrayant au versement des taxes nationales sur les alcools. La société fait imprimer en Turquie de fausses vignettes pour ses produits alcoolisés . Pechtera SA est l’un des principaux sponsors du PSB , du Président de la République de Bulgarie Georgi Parvanov  lors de sa campagne présidentielle et du ministre de l’Intérieur Roumen Petkov  ; parmi les personnes financées par la société comptent également plusieurs hauts fonctionnaires et responsables de la Police Nationale (ainsi, selon une information officieuse, le commissaire en chef de la PN Valentin Petrov serait payé à la hauteur de 25 000 leva  par mois).

Le lobby garantissant la sécurité de Pechtera SA, y compris le ministre de l’Intérieur Roumen Petkov, serait à l’origine de la campagne de discrédit lancée contre l’ancien secrétaire général de l’Intérieur Iliya Iliev.

Après la nomination provisoire de Valentin Petrov au poste de secrétaire général de l’Intérieur et le maintien de Ivan Ivanov au poste de directeur adjoint de la DGLCO, on doit s’attendre à ce que le lobby de Pechtera SA prenne les mesures nécessaires pour discréditer et finalement licencier tous les agents de police qui ont participé aux opérations. Déjà, on y discute les possibilités de remplacer et d’envoyer à la retraite le directeur de la section Sécurité intérieure à la PN.
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