FAUX BILLETS EN EUROS : SOYEZ VIGILANTS
Forte de son succès, la devise européenne est devenue la cible des faussaires, les saisies de faux billets ne cessent d'augmenter. Banques, commerçants et services de police traquent ces contrefaçons. Vous aussi, sachez repérer ces biftons bidons
C'EST une menace insidieuse, souterraine, qui commence à préoccuper les autorités monétaires. Les saisies de faux euros en circulation en Europe ont bondi de 1 300 % en deux ans, selon les derniers chiffres de la Banque centrale européenne. Des chiffres diffusés sans grand tapage au début de l'été, noyés dans la torpeur estivale.
Alors que 22 000 fausses coupures avaient été interceptées par les autorités monétaires au premier semestre 2002, ce sont plus de 300 000 billets contrefaits qui ont été récupérés sur les six premiers mois de 2004. Et encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des saisies policières, trois fois supérieures depuis le début de l'année aux chiffres de 2003, selon l'institution policière internationale Europol. « C'est en France qu'on collecte le plus de faux billets, devant l'Italie et l'Espagne », révèle un responsable monétaire de haut rang soucieux d'anonymat. L'euro de moins en moins infalsifiable. Officiellement, il n'y aurait aucune raison de s'affoler, les banques centrales européennes, dont celle de France, estiment que le gros de cette explosion de faux euros est derrière nous et qu'il appartient simplement aux utilisateurs de rester vigilants (voir page de droite). Si l'on additionne les chiffres disponibles, près d'un million et demi de faux billets ont été retirés du circuit en deux ans par les banques centrales et la police, sur un total de 9 milliards de vraies coupures. Mais ce n'est pas tant le nombre de faux billets en circulation qui importe, le chiffre reste raisonnable, c'est surtout le mythe de l'euro infalsifiable qui s'écroule. Aujourd'hui, « l'euro est désormais autant contrefait que l'était le franc, martèle Nicolas-Jean Brehon, enseignant en finances publiques à la Sorbonne. L'Europe est incapable de protéger sa monnaie. »
« Les faux-monnayeurs se reportent de la production de faux dollars vers celle de faux euros » Des gangs démantelés. Pour contrer les malfaiteurs, les autorités monétaires coopèrent étroitement avec les polices d'Europe. En France, l'Office central pour la répression du faux monnayage (OCRFM) coordonne les activités des différents services de police, au nombre desquels la brigade de recherches et d'investigations financières (Brif). Les limiers français ont ainsi démantelé, en juin, un gang de faussaires opérant en région parisienne, dans le Nord et dans l'Hérault. Une des plus belles opérations depuis le lancement de la monnaie unique : 200 000 coupures saisies, d'une valeur supérieure à 2,5 millions d'euros. L'euro victime de son succès. « L'importance de l'euro, en tant que deuxième grande devise après le dollar, rend la monnaie européenne très attractive pour les faux-monnayeurs. Ces derniers, très actifs sur différents continents, se reportent de la production de faux dollars vers celle de faux euros », mettent en garde les policiers d'Europol. A la pointe de la contrefaçon : les pays de l'Est, Bulgarie et Lituanie en tête. Avec une qualité qui laisse parfois pantois les experts. Soyez attentifs. Si les spécialistes ont clairement pris la mesure de la menace. Les usagers, eux, restent encore majoritairement insouciants. « Il n'y a pas de prise de conscience du phénomène », déplore Jean-Pierre Thouvenot, ancien responsable du faux-monnayage à la Brif. « Sur une échelle de 1 à 10, le risque est actuellement au moins de 7 », analyse un banquier parisien qui, lui aussi comme beaucoup de ses collègues veut rester anonyme sur ce sujet considéré comme sensible. « Les banques centrales ne peuvent pas reconnaître officiellement l'ampleur du problème, au risque d'affoler tout le monde », ajoute-t-il. Tout juste peuvent-elles appeler à la vigilance. Selon nos informations, la Banque de France va développer sa communication vers le grand public dans les prochains mois.
Olivier Aubry
Le Parisien , mercredi 11 août 2004 - rfi