ADHESION DE LA ROUMANIE A L'UNION EUROPEENNE – RAPPORT AU SENAT FRANÇAIS
Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 7 juin 2006 au Sénat français ; Élargissement Adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, Communication de M. André Ferrand – rapporteur pour la Roumanie
La Commission européenne a présenté, le 16 mai dernier, son rapport de suivi sur l'état de préparation de la Bulgarie et de la Roumanie. Le bilan qu'elle tire, sept mois avant la date prévue pour l'adhésion de ces deux pays à l'Union (le 1er janvier 2007), est mitigé : elle note les progrès réalisés par ces deux pays mais elle souligne également que des lacunes très sérieuses persistent dans plusieurs domaines. Si on compare la situation de la Bulgarie et de la Roumanie à celle des dix États membres ayant adhéré à l'Union le 1er mai 2004, au même stade de leur processus d'adhésion, ces deux pays apparaissent en retard. C'est pourquoi la Commission, soucieuse de maintenir la pression sur ces deux pays, a décidé de reporter à l'automne sa décision finale sur la date d'adhésion de ces deux pays à l'Union. La Commission européenne devrait donc indiquer, au plus tard début octobre, si la Bulgarie et la Roumanie sont prêtes pour une adhésion au 1er janvier 2007 ou bien si cette adhésion doit être reportée d'une année, au 1er janvier 2008.
Ce report de la décision sur la date de l'adhésion pourrait avoir une influence sur le processus de ratification du traité d'adhésion, comme on vient de le signaler à propos de la Bulgarie. D'ores et déjà, dix-huit États membres sur vingt-cinq l'ont ratifié (dont le Royaume-Uni) mais parmi les sept restants, certains États, et en particulier l'Allemagne, entendent se baser au maximum sur les éléments d'appréciation de la Commission. Pour sa part, le Gouvernement français a déposé tout récemment le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion devant le bureau de l'Assemblée nationale, qui devrait se prononcer avant le 27 juin.
Le Président roumain, Traian Basescu, a d'ailleurs effectué la semaine dernière, sa deuxième visite officielle en France, afin de plaider la cause de la Roumanie auprès des autorités françaises. Il a rencontré le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et il a été reçu à la Présidence du Sénat, pour un entretien auquel j'ai participé, au titre de notre délégation, aux côtés du président Serge Vinçon et de Henri Revol, qui préside le groupe d'amitié France-Roumanie du Sénat.
Pour évaluer la candidature de la Roumanie, je me référerai aux « critères de Copenhague », c'est-à-dire aux trois conditions fixées pour l'adhésion.
Depuis 1997, la Commission considère que la Roumanie remplit les critères politiques de l'adhésion, c'est-à-dire la démocratie, l'état de droit, le respect des droits de l'homme et des minorités.
Cette appréciation globalement favorable était toutefois assortie de sérieuses réserves dans les précédents rapports de la Commission, en particulier concernant l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption. Or, dans ces domaines, la Roumanie a fait, ces derniers mois, d'incontestables progrès qui ont été salués par la Commission dans son rapport du 16 mai dernier.
Ainsi, la Roumanie s'est dotée, à l'été 2005, d'une nouvelle législation qui garantit l'indépendance du système judiciaire. Cette indépendance concerne aussi bien les magistrats du siège que ceux du Parquet. Une école nationale de la magistrature a été créée, ainsi qu'un Conseil supérieur de magistrature. De nouveaux juges et procureurs ont été recrutés sur concours, tandis qu'une limite d'âge de soixante ans a été instituée pour écarter les magistrats les plus anciens. Pour réduire les risques de corruption, un système informatisé d'attribution aléatoire des affaires aux juges a été aussi introduit. Au total, les autorités roumaines ont fait de réels progrès dans ce domaine, notamment sous l'impulsion de la ministre de la justice, Monica Macovei, qui mène une politique très volontariste, même s'il reste encore des efforts à faire, notamment en matière de recrutement et de formation des magistrats ou au niveau législatif, avec notamment l'adoption d'un nouveau code pénal et d'un nouveau code de procédure pénale.
S'il était un domaine où l'Union européenne attendait de véritables avancées de la part des autorités roumaines, c'est bien celui de la lutte contre la corruption. J'avais d'ailleurs moi-même insisté sur cette question, lors de ma dernière communication devant la délégation sur l'état de préparation de la Roumanie, le 30 novembre dernier. Or, là aussi, on a pu constater un changement d'attitude de la part des autorités roumaines, qui s'est notamment manifesté avec la mise en cause de plusieurs personnalités politiques de premier plan. Ces enquêtes n'ont pas seulement visé des anciens membres du gouvernement social démocrate, comme l'ancien Premier ministre Adrian Nastase, qui a dû démissionner de son poste de Président de la Chambre des députés, mais aussi des membres de la coalition de centre droit actuellement au pouvoir, et même l'actuel Premier ministre, Calin Popescu-Tariceanu. Au total, quatorze hauts responsables politiques ont fait l'objet d'une enquête depuis octobre 2005 et une centaine de hauts fonctionnaires, de juges ou d'officiers de police, ont été condamnés pour corruption. On peut également relever, au titre des progrès, l'adoption de nouvelles lois concernant la levée de l'immunité des anciens ministres et la mise en place d'une agence chargée de la répression de la corruption à haut niveau : la direction nationale anticorruption (DNA) qui dépend du Parquet. En définitive, le dernier rapport de la Commission européenne souligne que des avancées ont été réalisées dans la lutte contre la corruption, même si les autorités roumaines doivent poursuivre leurs efforts.
En matière économique, la Commission considère, depuis son rapport de 2004, que la Roumanie est capable de faire face aux pressions concurrentielles et qu'elle dispose d'une économie de marché viable. De bons résultats macroéconomiques ont été enregistrés : la croissance du PIB a atteint 8 % en 2004, avant de retomber à 4 % en 2005, en partie à cause des inondations importantes subies par ce pays. Il convient de noter que la Roumanie est parvenue à faire face aux travaux de réparation considérables résultant des inondations sans provoquer un creusement du déficit budgétaire. Le Président roumain s'en est félicité lors de son entretien au Sénat. Le déficit budgétaire a été de 0,8 % du PIB et la dette publique de 19 % du PIB en 2005. Le taux de chômage est d'environ 6 % et l'inflation de 8,5 %. Les réformes économiques se sont poursuivies à un rythme soutenu : instauration d'un taux unique d'imposition à 16 %, majoration des retraites, poursuite des privatisations. Par ailleurs, on peut noter que le constructeur automobile Dacia, appartenant au groupe Renault, a réalisé sa première année bénéficiaire en 2005 après cinq années de pertes, grâce au succès commercial de la « Logan », lancée en septembre 2004. Pour autant, le PIB par habitant n'est que de l'ordre de 30 % de la moyenne communautaire, et l'agriculture occupe encore une place très importante dans l'économie (35 % de la population active et 15 % du PIB).
Enfin, en ce qui concerne le dernier critère, lié à la reprise de l'acquis communautaire, la Roumanie a aussi accompli de réelles avancées. Alors que le dernier rapport régulier de la Commission recensait quatorze domaines particulièrement préoccupant, le rapport du 16 mai dernier n'en dénombre plus que quatre, dont trois concernent l'agriculture. Il s'agit de :
- la mise en place d'organismes opérationnels pour gérer les paiements directs aux exploitants agricoles au titre de la politique agricole commune (PAC) ;
- l'établissement d'un système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) dans l'agriculture ;
- la création d'installations d'équarrissage et de traitement des produits animaux, qui soient conformes aux normes européennes adoptées après l'affaire de la vache folle ;
- le dernier domaine qui présente encore de sérieuses lacunes concerne la fiscalité. Il s'agit de la mise en place d'un système informatique, qui puisse être relié avec ceux des États membres, permettant une perception correcte de la TVA.
En définitive, alors que la Roumanie était considérée jusqu'à présent toujours en retard par rapport à la Bulgarie et faisait figure de « dernier de la classe », la situation s'est inversée aujourd'hui. En réalité, la situation de la Roumanie paraît aujourd'hui bien meilleure que celle de la Bulgarie, la Commission exigeant de la Bulgarie des efforts dans un nombre de domaines plus importants, en particulier dans le domaine de la justice et de la lutte contre la corruption.
Je continue de penser que la Roumanie devrait être en mesure, si elle poursuit ses efforts, d'adhérer à l'Union européenne au 1er janvier 2007. Les importants progrès réalisés ces derniers mois par la Roumanie, notamment dans le domaine de la justice et en matière de lutte contre la corruption, me paraissent, en effet, encourageants.
Je crois aussi que la Roumanie pourra mieux se réformer et progresser en étant membre de l'Union européenne qu'en étant maintenue à l'extérieur. La pression des pairs et l'éventualité de recours en manquement susceptibles de déboucher sur des condamnations devant la Cour de justice des Communautés européennes constitueront de sérieuses incitations à évoluer et à combler les lacunes. À titre d'exemple, le risque de se voir priver par la Commission du versement des fonds communautaires, au titre de la politique agricole commune ou des fonds structurels, si la Roumanie n'offre pas les garanties nécessaires quant à sa capacité à les dépenser correctement, devrait constituer un excellent aiguillon pour améliorer les capacités administratives dans ces secteurs.
De plus, comme pour la Bulgarie, un éventuel report d'une année de l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l'opinion publique roumaine, qui a consenti des efforts importants en vue de l'adhésion. La population pourrait se détourner de l'Europe et cela pourrait faire le jeu des courants extrémistes et xénophobes.
L'adhésion à l'Union européenne n'est pas seulement une chance pour la Roumanie, mais elle peut l'être aussi pour l'Union dans son ensemble. La Roumanie dispose, en effet, d'une position géostratégique de premier plan, à proximité de la Mer noire et elle peut être un exemple pour la région des Balkans (et notamment pour la Serbie, avec laquelle elle entretient des relations étroites et aussi pour la Moldavie).
Enfin, la Roumanie est un pays francophile et francophone avec lequel la France entretient des liens étroits d'amitié. La Roumanie doit d'ailleurs accueillir le prochain sommet de la francophonie à l'automne.
En revanche, je pense que la Commission européenne ne devrait pas hésiter à recommander l'application de certaines clauses de sauvegarde, si le besoin s'en fait sentir. Je rappelle que, outre la clause relative au report de l'adhésion d'une année (qui nécessite une décision prise à l'unanimité des États membres, sauf pour certains engagements pris par la Roumanie en matière de « justice et d'affaires intérieures » et de concurrence, qui peuvent entraîner un vote à la majorité qualifiée), le traité d'adhésion contient pas moins de trois « clauses de sauvegarde » :
- une clause de sauvegarde économique générale ;
- une clause de sauvegarde du marché intérieur pour prévenir toute perturbation du fonctionnement du marché intérieur ou y remédier ;
- une clause de sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures.
Ces « clauses de sauvegarde » permettent à la Commission de prendre des mesures protégeant les autres États membres contre les effets négatifs d'une mise en oeuvre incomplète de l'acquis communautaire et cela pendant une période de trois années suivant l'adhésion.
À mes yeux, le recours à ces « clauses de sauvegarde » serait préférable à un report de l'adhésion de la Roumanie, comme de la Bulgarie, à l'Union. Je pense, en particulier, à la clause de sauvegarde dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, qui permettrait de mettre en place un mécanisme de suivi pendant une période de trois années après l'adhésion (et de suspendre éventuellement l'application des instruments fondés sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, comme le mandat d'arrêt européen par exemple) ou encore à la clause de sauvegarde dans le marché intérieur (afin, par exemple, d'interdire la circulation de certains produits alimentaires en cas de risque pour la santé des consommateurs).
Lors de son audition devant la délégation, hier, le Commissaire européen chargé de l'élargissement, Olli Rehn, a d'ailleurs salué les progrès importants accomplis par la Roumanie ces derniers mois. Il a surtout insisté sur la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption, qualifiés de véritables « piliers » de l'État de droit et par conséquent de l'appartenance à l'Union européenne. Or, comme il l'a souligné dans son intervention, sur ces questions, la Commission est surtout préoccupée par la situation en Bulgarie, tandis que la Roumanie paraît sur la bonne voie. En outre, tout en restant confiant sur la possibilité d'une adhésion au 1er janvier 2007, si ces deux pays poursuivent leurs efforts, il n'a pas exclu le recours aux « clauses de sauvegarde », ce qui semble illustrer un certain changement d'attitude de la part de la Commission européenne. En effet, c'est la première fois que la Commission envisage sérieusement la possibilité d'utiliser ces « clauses de sauvegarde », qui pourtant ne sont pas une nouveauté, puisqu'elles figuraient déjà dans le traité d'adhésion des dix États qui ont rejoint l'Union le 1er mai 2004.