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06-08-2004

BULGARIE : LA TRANSITION... ARTICLE DANS DNA

L'adhésion à l'Union européenne n'est prévue qu'en 2007 (*) mais le drapeau européen à douze étoiles est omniprésent. On le trouve sur les panneaux des chantiers routiers (pour annoncer un cofinancement avec Bruxelles), dans les entreprises, chez les marchands de souvenirs et au fronton des bâtiments officiels, en compagnie du drapeau bulgare (**). « Il ne s'agit plus de savoir si on est pour ou contre l'Europe mais de se préparer à y tenir notre place », souligne Alexander Peshev, président de l'association des industriels de Plovdiv.

Starsky et Hutch chez Marc-Aurèle

 Comme dans les autres pays d'Europe centrale qui ont vécu sous la tutelle de Moscou, l'entrée dans l'Union européenne est une forme de reconnaissance internationale, un retour aux sources historiques. « Nous sommes partie prenante de l'Europe depuis aussi longtemps que les Italiens », remarque Georgi Simeonov, chargé des relations internationales à la mairie de Stara Zagora.
 De nombreuses villes ont été fondées par les Romains. A Stara Zagora (nommée jadis Augusta Traiana), la poste abrite un sol en mosaïque vieux de 1 500 ans et les restes du forum contemporain de l'empereur Trajan (98-117 après J.C) côtoient l'ancien siège local du parti communiste.
 A Plovdiv (Philippopolis), qui fut une étape de Godefroy de Bouillon sur la route de la première croisade en 1096, l'amphithéâtre romain de 3 500 places sert de salle de spectacles en plein air. En juillet, on pouvait voir Starsky et Hutch, Shrek II, Apocalypse Now ou Le dernier tango à Paris sur l'écran géant hissé devant des gradins datant de Marc-Aurèle (IIe siècle).

Un sentiment d'éloignement

 Ces vestiges semblables à ceux de l'Italie ou du sud de la France ont un rôle plus important qu'il n'y paraît. Ils témoignent de l'appartenance de la Bulgarie à la civilisation méditerranéenne et compensent la double marginalisation, géographique et historique, dont souffrent les Bulgares. Sofia n'est pas plus loin de Bruxelles que Lisbonne, 2 200 km, Marseille est à 1 900 km, mais l'occupation ottomane puis le communisme ont brouillé les références.
 Les Bulgares aiment se démarquer de ce passé encombrant. Ils rappellent qu'avant de passer sous la coupe de l'URSS, leur pays, très fertile, se développait plus vite que la Grèce. Parfois ils se prennent à refaire l'histoire. « Et si le débarquement de 1944 avait eu lieu en Grèce et pas en Normandie ? Cela aurait changé bien des choses en écartant l'Armée rouge des Balkans », remarque Georgi Simeonov.
 Les 45 ans d'alignement sur Moscou ont privé la Bulgarie d'une partie de ses repères internationaux. Le journaliste français de passage en Bulgarie voit vite les rôles s'inverser ; c'est lui qui est bombardé de questions. « Quelles sont vos impressions sur la Bulgarie ? Sommes-nous plus avancés que la Roumanie ? Comment voyez-vous notre entrée dans l'Union européenne ? Les viticulteurs français ont-ils peur de nos vins ? »... Les Bulgares manquent parfois de confiance en eux, ils quêtent le regard de l'autre comme pour conjurer un destin longtemps piloté du dehors, à Istanbul ou Moscou.

Appels d'air

 Historiquement, les élites bulgares ont toujours été contraintes de composer avec une force extérieure : Rome, Byzance, l'occupation ottomane, l'URSS. Aujourd'hui, elles sont confrontées à la tentation de l'exil. On estime que près d'un million de Bulgares (sur une population de huit millions d'habitants) ont quitté le pays depuis l'ouverture des frontières, au début des années 1990.
 Le modèle irlandais, qui a fait fructifier le boom économique consécutif à l'entrée dans l'Union européenne, ne rassure que modérément. « N'oubliez pas un détail : l'Irlande n'a pas connu le communisme », remarque ironiquement Stanimir Stoyanov, directeur du journal Nationalna Business Poshta.
 Le passage (en moins de vingt ans, 1989-2007) du communisme le plus strict à l'Union européenne s'accomplit à marche forcée. Après un régime où l'ouverture était combattue idéologiquement, les appels d'air se multiplient. La confrontation avec l'Union européenne impose une présence sur tous les fronts psychologiques. D'un côté, il y a le face-à-face avec la mondialisation, de l'autre côté un tête-à-tête avec soi-même. Qu'est-ce qu'être bulgare ? Quels sont nos atouts, nos spécificités, nos valeurs ? C'est forcément un facteur d'inquiétudes.

« Nous devons partir à la pêche »

 La peur de l'Union européenne vient de la certitude que dans un premier temps les prix monteront plus vite que les revenus. Or un million de Bulgares ont moins de 50 euros par mois.
 « Celui qui est debout sur une plage et voit monter la marée peut garder la tête froide. Celui qui est à genoux et handicapé ne verra pas les choses de la même façon », commente Stanimir Stoyanov. « Le communisme, ajoute-t-il, apprenait à rester sagement sur le rivage ; c'est le parti qui était censé r
aba
ttre le poisson. Aujourd'hui nous devons partir à la pêche ».
 Quand la Bulgarie était un rouage essentiel du Comecon (organisation économique du monde communiste), les échanges étaient simples. « L'URSS apportait le gaz, le pétrole, l'électricité, le plutonium pour la centrale nucléaire, les moissonneuses... La Bulgarie exportait des parfums, des dentifrices, des vins, des cigarettes, des conserves de légumes, des chariots élévateurs, des vêtements, des chaussures », rappelle Georgi Simeonov.

Gommer 45 ans de tutelle moscovite, en faire un accident de l'histoire n'est pas facile tant les retards se sont accumulés. « Nous avons 170 000 habitants, mais pas encore de station de traitement des déchets ménagers. Tout est jeté dans une décharge à ciel ouvert », explique Tihomir Dimitrov, adjoint au maire de Stara Zagora. Quant aux eaux usées, elles transitent par une canalisation, mais finissent dans la rivière Maritsa, sans station d'épuration.
 Pour ces investissements lourds, l'aide de l'Union européenne est décisive. Les cuves de métal neuves qui attendent le raisin des domaines viticoles Menada et Todoroff ont été installées grâce aux fonds SAPARD (Special accession programme for agriculture and rural development) qui financent à 50 % la modernisation des installations agricoles. C'est aussi l'Union européenne qui cofinancera le centre de stockage de combustible usé que le groupe allemand RWE construira avant 2009 à la centrale nucléaire de Kozlodouï (***).

Diversifier les fromages

 « Outre l'extension de nos capacités d'investissements, l'Union européenne doit nous donner de quoi élargir notre champ de vision, développer de nouvelles méthodes. C'est vital pour les PME. Nous avons par exemple une tradition d'élevage, mais nos produits laitiers, notamment les fromages, ne sont pas assez diversifiés. Je souhaite que des Français viennent présenter ce qu'ils savent faire », plaide Georgi Gantchev, consultant économique et grand défenseur de la Foire internationale de Plovdiv.
 Il précise qu'en 2005, Plovdiv doit ouvrir une "Maison de la francophonie" qui servira de tête de pont aux industriels comme aux relations culturelles. « Nous avons de bonnes universités, nos jeunes cadres sont bien formés, la main d'oeuvre est consciencieuse. Il faut que cela se sache », ajoute Georgi Gantchev.
 Danone, Heineken, Ikéa sont déjà présents en Bulgarie. Les sacs à dos féminins dessinés par Philippe Starck pour Samsonite sont fabriqués à l'usine Tchaïka de Plovdiv. « En France, complète l'industriel Alexander Peshev, vous avez tendance à nous juger par rapport à ce qui nous reste à faire sans voir ce que nous avons déjà fait. Si la Bulgarie est admise à entrer dans l'Union européenne, c'est pourtant parce que nous avons tenu nos engagements ».
Dominique Jung

(***) La centrale de Kozlodouï assure 40 % de la production d'électricité du pays ; elle comprend quatre réacteurs : deux réacteurs anciens de 440 MW chacun qui doivent être arrêtés en 2006 à la demande de l'Union européenne et deux réacteurs plus modernes, de 1 000 MW chacun.

 

Des références concurrentes
‘• Des traditions venues d'Istanbul et de Moscou • Un enfant enlevé à l'âge de trois ans • Des églises pas plus hautes qu'un Turc à cheval • Des chaussures sur l'autel • Les annonceurs de l'Apocalypse
‘De notre envoyé
spécial en Bulgarie
‘‘La maison du riche marchand Argir Kouyoumdjioglu, bâtie en 1847 sur l'une des collines de Plovdiv, a une ossature en bois et des proportions de manoir. Depuis 1952, cette demeure magnifique par ses lambris, sa façade et ses plafonds sculptés est un musée des arts et traditions populaires qui célèbre le mélange bulgare.
‘La salle consacrée aux vieux bijoux en plaques d'argent martelé aurait enchanté Baudelaire, Loti et les autres amateurs d'exotisme. Vers 1900, une mariée correctement dotée ne se déplaçait pas avec moins de 4 kg de métal précieux sur elle, entre la ceinture, les bracelets, les colliers, les boucles d'oreille et les bandeaux qui ceignaient le front à la manière d'une couronne.
‘A cheval sur l'Orient et l'Occident, la Bulgarie a des pots vernissés, des nappes brodées et des tissages de laine, héritage de la civilisation paysanne d'Europe centrale. Elle a aussi des samovars et des icônes dignes d'un conte de Tolstoï. Et affectionne les banquettes couvertes de tapis qui deviennent des divans comme chez les Turcs.
‘Les pâtisseries débordent de loukoums, de baklavas et de kadaïfs chargés de miel et de sirop à la mode d'Istanbul ou de Damas. On peut boire de la mastica, une boisson anisée entre arak libanais et ouzo grec.

Janissaires
et bachi-bouzouks

‘La Bulgarie, traversée par une vaste plaine centrale sur l'axe horizontal entre la mer Adriatique et la mer Noire, fut forcément une terre de mélanges, et souvent d'invasions. Cela laisse des traces qui vont parfois jusqu'au traumatisme collectif.
‘De l'occupation turque (1396-1878), un guide touristique publié en 2002 affirme que ce fut ""la plus triste période de l'histoire bulgare"". Un film des années 1980, intitulé "La Rupture", raconte l'histoire d'un enfant du XVII© siècle enlevé à sa mère à l'âge de trois ans dans un village bulgare puis élevé dans une caserne turque pour devenir janissaire. Nommé officier du sultan, il est envoyé en mission dans son village natal, où il fait régner la terreur au nom de la soumission à l'empire ottoman. Avec les bachi-bouzouks (supplétifs de l'armée turque), les janissaires sont les ogres des contes pour enfants bulgares.
‘En revanche, malgré l'affaiblissement économique dû à 45 ans de communisme, la Bulgarie n'a pas de haine envers Moscou. Cela remonte à ce que les livres d'histoire appellent "le Réveil bulgare". En 1877-78, ravie de pousser ses pions près de la mer Noire, la Russie s'empressa de faire la guerre aux Turcs au nom de la solidarité religieuse des orthodoxes. C'est ainsi que la Bulgarie fut débarrassée du joug ottoman, ce qui explique en partie qu'après 1945 elle ait compté parmi les plus fidèles satellites de l'URSS.

La bulgarisation
des noms turcs

‘Le triangle Moscou-Sofia-Istanbul illustre largement la géographie mentale bulgare où la culture slave pénètre au cœur des Balkans. ""Nous sommes un patchwork, constate Georgi Simeonov, chargé des relations internationales à la mairie de Stara Zagora. En 2"000 ans d'histoire urbaine, nous avons connu la civilisation thrace, les comptoirs grecs, l'empire romain, un basculement dans l'aire byzantine, un royaume païen qui inquiéta Byzance, cinq siècles d'occupation musulmane, 70 ans de nationalisme bulgare, 45 ans de communisme et maintenant la marche vers l'Union européenne. Avec cela, comment voulez-vous que la Bulgarie n'ait pas des facettes bigarrées"?"".
‘Le dernier regain de tension entre Turcs et Bulgares est récent. En 1984, à la fin de la dictature communiste de Todor Jivkov (1956-1989), rompant avec une politique de cohabitation, le gouvernement décréta la bulgarisation des noms et prénoms turcs. Les réfractaires, plus de 300"000 Turcs de Bulgarie, qui vivaient souvent dans les villages des montagnes, fermèrent leur maison et commencèrent un exode vers la Turquie. Certains revinrent vite, mais d'autres ont eu le temps d'acquérir la nationalité turque sans pour autant perdre la citoyenneté bulgare. Les plus malins rêvent aujourd'hui d'être des têtes de pont avec la Turquie lorsque la Bulgarie rejoindra l'Union européenne après 2"007 (*).
‘Majoritairement, la Bulgarie appartient toutefois au monde orthodoxe. Beaucoup d'églises datent de l'occupation ottomane.

Une église
sans clocher

‘Les Turcs toléraient la construction de lieux de culte chrétiens à condition qu'ils ne soient pas trop hauts. La légende veut qu'il ait été interdit de bâtir une église ""plus haute qu'un Turc à cheval"".
‘A Arbanassi, l'église de la Nativité (XVII© siècle) n'a pas de clocher pour ne pas choquer l'occupant. Mais à l'intérieur, quelle splendeur"! Des murs aux voûtes, pas un centimètre carré sans fresques polychromes. Pour gagner du volume, beaucoup d'églises sont partiellement enfouies. Les architectes bulgares ont inventé le parvis à l'envers": au lieu de monter des marches, on en descend plusieurs pour entrer dans la nef, qui a des airs de catacombe.
‘Aujourd'hui le patrimoine chrétien est remis à l'honneur. On restaure, on consolide, on remplace. La chapelle latérale du monastère de Drianovo, près de Veliko Tarnovo, est pleine de seaux, de pots de peinture et d'échafaudages"; les murs blanchis de frais se couvrent de fresques évangéliques neuves.

Crise des vocations
monastiques

‘""Mais les vocations monastiques ne suivent pas, regrette Slavtcho Kissiov, professeur d'histoire chrétienne et secrétaire du monastère de Batchkovo, près de Plovdiv, bâti vers 1650. ""Sous le communisme, il y avait ici 32 moines, il n'y en a plus que huit actuellement. L'ouverture économique, le renforcement du confort sont tout neufs, cela séduit beaucoup de jeunes. Ici le mode de vie est strict, il faut vraiment avoir la foi. Contrairement aux popes (ndlr": prêtres des paroisses), les moines n'ont pas le droit de se marier. Les
offices durent longtemps. La messe de 7h du matin dure environ deux heures et demie"; celle de 18h dure une heure. A cela s'ajoutent le temps des prières individuelles, les travaux des champs, l'entretien du monastère"; c'est pourquoi celui qui veut devenir moine à Batchkovo est soumis à trois ans de probation"".
‘En revanche, les pèlerins affluent, même en semaine. Ils brûlent des cierges, se signent, s'agenouillent, baisent les vieilles icônes protégées par une vitre, font bénir par un prêtre une icône neuve qu'ils viennent d'acheter, déposent des offrandes sur un autel": des vêtements pliés, des chaussures d'enfant, des napperons au crochet. Trouvant à son goût des chaussettes neuves en coton noir, un pope les glisse sans formalité dans sa poche... A Batchkovo, on compte plus de 6"000 visiteurs par dimanche et plus de 60"000 lors des grandes fêtes liturgiques"!
‘En ville comme dans les villages, les morts sont vénérés. Des faire-part de décès encadrés de noir sont collés sur les portes, avec la photo du défunt. Ils y restent des mois, parfois des années, le temps que le vent, la pluie et la neige dissolvent le papier.

L'arrivée des sectes

‘Ce respect des traditions populaires cohabite avec des pratiques inconnues il y a dix ans. La Bulgarie n'échappe pas aux sectes qui sillonnent l'ex-monde communiste. Des démarcheurs des "sagesses d'Asie", des pseudo-chrétiens, des annonceurs de l'Apocalypse cherchent de nouvelles proies. L'absence de repères d'une partie de la population facilite le démarchage.
‘La Bulgarie post-communiste apprend, parfois à ses dépens, à faire le tri des idéologies sans qu'une consigne venue d'en haut lui dicte la marche à suivre. C'est aussi cela le prix de la transition": une recherche parfois brouillonne de foi en l'avenir.
‘¬Dominique Jung

Demain": la
renaissance d'un
village de montagne

La lente renaissance de Dolen

‘C'est la région la moins connue de Bulgarie. Loin des centres urbains, loin des plages de la mer Noire, le massif montagneux des Rhodopes abrite des villages confrontés à une difficile survie. Exemple à Dolen, 1"100 mètres d'altitude, qui a la particularité d'avoir conservé ses belles maisons paysannes.
‘Dolen.- De notre
envoyé spécial
Dominique Jung
‘‘Hormis la voiture, le seul moyen d'arriver à Dolen est l'un des autocars qui desservent la chaîne des Rhodopes. Une heure plus tôt, on a quitté la plaine et la grosse ville de Plovdiv. La montagne impose déjà ses contraintes"; à 30"km/h, on grimpe une route étroite qui ferait une superbe étape de tour cycliste. Elle longe un ravin creusé soixante mètres plus bas par les méandres d'une rivière verte.
‘A l'arrêt de Devin, quatre jeunes randonneurs, des étudiants, tous bulgares, descendent leurs sacs de camping. Les Rhodopes offrent de superbes promenades encore peu connues des marcheurs étrangers. ""Profitons-en tant qu'il n'y a pas encore de monde"! Quand on sera dans l'Europe, est-ce qu'on sera envahi de touristes"?"", m'interroge l'un d'eux (*).

Des faux
et des râteaux

‘L'autocar reprend sa route en profitant d'une brève ligne droite pour doubler deux carrioles de paysans qui rentrent des champs, tirées par des chevaux. On approche des 1"000 mètres d'altitude. Les plateaux intermédiaires sont soigneusement cultivés. Essentiellement du maïs et du t
abac. Dans les prés, les paysans font les foins à la faux et au râteau. Leurs meules ont une jolie forme conique, comme dans les peintures médiévales.
‘La plupart des villages ont à la fois une mosquée et une église orthodoxe. Cette région frontalière de la Grèce fait cohabiter sans difficulté particulière les deux religions. Près de Zmeitsa, trois paysannes âgées, un fichu noué sous le menton, se hissent lourdement dans l'autocar. Elles appartiennent à la minorité musulmane, héritière de l'occupation ottomane (XV©-XIX© siècle). Malgré une température de 31°, elles portent des vêtements superposés. Des pantalons flottants, une robe en coton fleuri qui descend aux genoux, le tout couvert par une sorte d'imperméable de toile bleue qui fait
office de tablier.
‘Le bourg de Dospat, au bord d'un lac, est le terminus du car. De là, il faut prendre un taxi jaune qui slalome entre les nids de poule jusqu'à Satochva puis remonte en lacets sur six kilomètres. Et voilà enfin Dolen, village superbe mais décati dont les guides touristiques ne disent mot.

Tout près de la mort

‘A part les poteaux électriques et une couche de goudron au début de la rue principale, l'architecture n'a pas changé depuis le XVIII© siècle"; les maisons ont gardé leur ossature de bois et leurs toits de schiste. Mais la mort n'est pas passée loin, faute de soins, faute d'argent. Le long des sentiers empierrés, certaines maisons désertées sont des carcasses tragiques ouvertes à tous les vents.
‘La position excentrée de Dolen, au sud-ouest du pays, loin des axes de circulation, a provoqué son déclin, mais lui a évité la destruction. Au lieu de démolir pour construire du neuf, les familles ont émigré vers la route nationale, les petites villes et les petites industries du cuir ou du textile, nombreuses dans la vallée.
‘En 1990, après trente ans de déclin continu, le village était en train de pourrir sur pied quand quelques citadins épris de calme ont sonné le réveil. Parmi eux, Raymonda Moudova. Cette habitante de Sofia, qui, avec son mari, est connue pour son soutien à l'art contemporain, a découvert Dolen par hasard il y a une dizaine d'année et s'y est de plus en plus attachée. ""L'architecture et la montagne sont en harmonie. Ce lieu est beau"", explique-t-elle. Elle a fini par acheter une maison et par connaître tout le monde. C'est elle qui fait le lien entre les anciens habitants, souvent âgés, et les citadins pour lesquels Dolen est une résidence secondaire, habitude nouvelle en Bulgarie.
‘L'essor des entreprises privées après la chute du communisme bulgare, il y a quinze ans, a facilité les travaux de restauration. C'était vital. Dolen avait certes été classé "réserve architecturale" en 1979. Mais sans subvention parallèle pour lancer les réparations, ce label était une clause théorique": le droit de mourir de mort lente, sans subir le pic des démolisseurs.

De l'étable au salon

""Je crois qu'aujourd'hui la ruine est enrayée"", estime Raymonda Moudova. Les chantiers ont commencé dans une quarantaine de maisons. Mais il a fallu beaucoup de sueur et de détermination. Une jeune propriétaire venue elle aussi de Sofia explique que la grande pièce du rez-de-chaussée était couverte sur 70 cm de bouses de vache qu'elle a retirées à la pelle. Jadis c'était l'étable d'hiver, tandis que les paysans occupaient la pièce située juste au-dessus, pour profiter de la chaleur animale.
‘L'un des charmes des maisons de Dolen vient de la terrasse ou du patio construits grâce à une judicieuse utilisation de la déclivité des terrains. C'est tout à la fois la cuisine et le salon d'été, garni d'une cheminée ou d'une cuisinière en fonte, d'une banquette, d'une table et de fauteuils.
‘La journée est rythmée par les cloches des vaches, les pétarades des tracteurs, le trottinement d'un âne chargé de foin, le grincement des scies sur les poutres, le raclement des lauzes qu'on pose sur les toits. Avec la scierie locale, l'élevage et les champs de t
abac, les chantiers du bâtiment sont la grande activité de Dolen.
‘L'hiver est moins bucolique. ""On n'a pas de travail, on reste chez soi, on regarde la télévision, on dépense ce qu'on a gagné l'été et on s'inquiète pour les fins de mois"", résume le couvreur Ulian Avalov. ""On tricote des pulls ou des bas, il n'y a rien à faire aux champs, c'est le repos"", tempère Nadejda Ousounova, une retraitée qui vit avec son mari.

Un nouveau village

‘Même si elles ne voudraient pour rien au monde déménager définitivement, certaines grands-mères qui vivent seules s'inquiètent. ""Il y a quelques mois, j'ai eu très peur de mourir sans personne à mes côtés. Je ne pouvais plus me lever, je n'ai pas de téléphone et ma maison est à l'écart du village"", raconte une veuve. Au plus fort de l'hiver, sous la neige, le village se vide un peu plus. Les grands-mères vont passer quelques semaines chez leurs enfants installés en ville ou simplement dans le nouveau Dolen, construit deux kilomètres plus loin, de l'autre côté du vallon.
‘Car depuis une trentaine d'années, il y a un nouveau Dolen, qui attire même ceux dont la restauration des vieilles fermes est le métier. ""Ces maisons du XIX© siècle sont très belles, mais sombres et basses de plafond. Je suis né ici, mais j'en avais assez de me cogner la tête en passant d'une pièce à l'autre. Donc j'ai construit dans le nouveau Dolen"", raconte un charpentier.

þþþ (Suite
de la page 6)

‘Le vieux Dolen manque aussi d'équipements. Dans certaines maisons, les coupures d'eau sont fréquentes en été. Il n'y a ni poubelles publiques ni collecte des ordures ménagères et chacun s'arrange avec sa conscience écologique en brûlant ce qu'il peut dans sa cheminée, en portant le reste dans des décharges de plein air -ou en abandonnant les papiers au hasard, dans l'attente d'un orage qui transformera le sentier en torrent et emportera les saletés vers la rivière. "Il faudrait des investissements lourds que les particuliers ne peuvent pas financer", note Raymonda Moudova.
Le souvenir
des tisserands

‘Malgré sa renaissance inespérée, Dolen, dont la fondation remonte au XV© siècle, est loin de son âge d'or, au XIX© siècle, à cheval sur la fin de l'occupation ottomane et sur les premières années du nationalisme bulgare. "Il y avait partout de gros troupeaux de brebis, de grands sacs de laine tondue, de nombreux tisserands", raconte Kyril Ouzounov. Cet ancien cadre du parti communiste, qui gère aujourd'hui un hôtel dans la vallée, est l'historien de Dolen. "On faisait des tapis, des couvertures, des tabliers brodés, des manteaux de bergers qu'on vendait au loin. On faisait aussi des poteries avec la terre argileuse et des bijoux en argent pour les mariées".
‘Dolen a eu son église en 1837, et son école municipale en 1856, distincte des écoles antérieures tenues par le clergé orthodoxe. "Entre 1918 et 1959, Dolen comptait environ 2"800 habitants. Aujourd'hui, il en reste 500", indique Kyril Ouzounov.
‘Le déclin a été foudroyant. Quand le transport s'est mécanisé, après la Seconde guerre mondiale, les villages desservis par de bonnes routes ont capté toute l'activité économique. En 1960, Dolen avait encore d'excellents sentiers pour les mules, mais rien pour les voitures.
‘Aujourd'hui, c'est une croissance raisonnée que souhaite Dolen. Certains habitants redoutent qu'une célébrité tardive ne transforme le village en écomusée pomponné et recalibré pour les touristes. Les pragmatiques estiment qu'au moins cela créera des emplois. Si des artisans s'installent, disent-ils, on renouera avec les tisserands et bijoutiers de jadis. Quelques nouveaux propriétaires songent à ouvrir un gîte rural.

Deux sœurs
attirées par la ville

‘En attendant un futur encore flou, ce sont les paysans qui forment toujours l'ossature du vieux Dolen. Silvera Karova, 40 ans, l'une des plus jeunes résidentes permanentes, n'envisage pas de vivre ailleurs. "J'ai dû récemment aller à Sofia et, croyez-moi, je suis revenue ici à toute vitesse. La ville est affolante. A Dolen, le travail est rude, mais c'est au rythme des saisons et des troupeaux", dit-elle en montrant sa maison qui ouvre directement sur ses champs.
‘Elle a toutefois conscience d'être la dernière génération paysanne de sa famille. Ses filles, Aïcha, 20 ans, et Fikré, 15 ans, font leurs études à Sofia. Cet été, elles sont au village, parce que c'est les vacances. "On renoue avec notre enfance, c'est sympathique, mais jamais je ne m'installerai ici; c'est trop monotone, trop prévisible", résume Aïcha. Assise à côté d'elle sur le canapé, sa mère ne la dément pas. "Pour moi, Dolen, c'est parfait. Mais c'est vrai, je ne rêve pas de cette vie pour mes enfants".
Dominique Jung DNA

 



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